Richard Freeth, Créateur.

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Chiara.



Chiara I


Blouse blanche qui met la distance nécessaire, utile, rassurante (pour elle), défensive peut-être pour les autres…

Chiara s'intéresse à ma force ou plutôt à ce qu'il peut y avoir de fort, de déterminé en moi.

Je pense à elle tous les jours en attendant que le bon moment arrive où l'écriture coulera de source…

Entre un venus de Cranach, une tête de Botticelli et une fée du monde des elfes, des traits fins, de grands yeux sombres, des narines aquatiques…serai-je assez fort justement pour ne pas tomber dans le panneau proverbiale d'être amoureux de ma nouvelle thérapeute ? Je ne crois pas, mais elle a certainement l'habitude de tenir ses interlocuteurs à distance… elle a sûrement appris des mots qui tuent, qui tuent toute velléité d'outrepassage…comme dans les banques où il ne faut pas dépasser la ligne rouge au sol, qui vous sépare du client qui vous précède, appelée "ligne de courtoisie", parce que c'est l'argent qui fait honte. Plus proche de lui et vous pourriez entendre sa fortune, plus proche d'elle et vous pourriez voir une épaule à découvert…

Chiara, elle que je ne connais que d'une conversation, doit savoir mettre ses clients à leur place, ça fait partie de sa formation. Mais …qui sait, les règles sont faites pour créér des exceptions.

Elle dit "L'envie ne dure que trois minutes". Je trouve que c'est une vision un peu économe, sinon pauvre, de la vie. L'envie inassouvie dure toute la vie, avec sa frustration afférente…Ce qu'elle veut c'est que l'on raisonne, que l'on dompte, que l'on maîtrise et finalement que l'on étouffe son envie et elle peut avoir raison, ça doit être possible.

Maintenant tout dépend de quoi on a envie…

Fumer, pourquoi suis-je réticent pour écrire la-dessus ? Aspirer, la bouche, l'air, la nourriture, la parole, sucer, avaler, souffler, le sein maternel, le mamelon d'une compagne, la langue de l'autre, les mots qui passent ses levres. Les activités buccales d'une vie ne se changent pas si facilement…La fumée ne semble pas un sujet noble ; c'est une raison du plus pour s'en passer.

Quant à la volonté, la force, l'entêtement – ce sont des qualités variables selon les niveaux d'optimisme ou de pessimisme du moment.

Je n'ai pas l'esprit analytique aujourd'hui…je partirai plus facilement dans la poétique d'un espace de rencontre et d'échange où la calme simplicité d'une nature morte de Giorgio Morandi contiendrait néanmoins de puissants rêves de chiar…oscuro comme dans une gravure de Rembrandt débordante d'humanité. La fumée se trouve aussi dans ces ombres-là, ombres nécessaires à l'existence de la lumière, ombres pregnantes de tentations, ombres fascinantes par ce qu'elles cachent, comme l'ombre d'un pubis féminin, comme un chemin courbe qui par sa nature invite à découvrir sa suite…

C'est curieux comme ce sujet ne coule pas de source, ne me séduit pas facilement pour écrire…je préfèrerais partir de ma thérapeute que d'une thérapie, probablement parce que je ne me considère pas véritablement atteint d'une condition quelconque appelant des soins… comporte-mentalistes qui plus est – sans aller loin sur le net je suis tombé sur plein d'histoires d'animaux mais je ne me sens pas le besoin d'un vétérinaire.

Non, je préfère les paravents à claire-voie, à voix claires, le clair-obscur, les contrastes lumineuses, Chiara l'optimiste, Vecchio, l'expérience…et curieusement je tombe sur deux titres : "Dipinto di Elfa" alors que je pensais aux elfes plus tôt, puis "Volevo essere per te come il mattino" et on imagine tout de suite les petits yeux du matin qui essayent de s'habituer à la force dorée du soleil qui se verse comme un liquide brulant, comme du miel dans la pièce, à l'ouverture des volets… le net donne aussi une chanteuse de Bossanova (pas ressemblant du tout), une journaliste "Nepita" puis une qui enseigne à l'université de Bordeaux…

Il est tard, je ne suis pas plus avancé, je n'ai pas assez travaillé, je ne suis pas arrivé à une vraie immersion dans le sujet… mais j'ai bien voyagé !


Chiara II


Me revoilà devant une page blanche à la dernière minute, à la veille d'une nouvelle rencontre avec Chiaroscuro la Brune qui essaye de me charmer hors des chemins de la nicotine.

C'était imprudent de dire que les non-fumeurs étaient moins marrants. C'était une affirmation instinctive, que je ne peux aucunement étayer, faite de l'impression qu'ils sont plus prudes, plus prudents, moins aventureux, bien élevés, méfiants de sensations fortes, sages et pas drôles, exempts de velléités de transgression… en somme plus plats, sans relief ni créativité. Mais c'est sûrement pas vrai, c'est sûrement le fumeur en moi qui veut les voir comme ça pour justifier mon comportement auto-destructeur tout en étant du côté des créateurs rigolos et transgressifs. C'est vrai que je n'ai jamais vraiment voulu me soumettre à un comportement de maturité résponsable qui implique la prudence, la prévoyance, les précautions, une vie trop réglée avec le pied prévu dans la tombe presqu'avant d'avoir joui de la vie.

Y a-t-il un lien entre la jouissance (sexuelle entre autres) et la cigarette ? L'une compense-t-elle l'autre ? Ce qui est connu ce sont les effets néfastes du tabac sur la capacité sexuelle mais n'y a-t-il pas un autre lien, un lien entre inhaler et jouir, un effet sérotonine subséquent aux deux ? Puis-je me passer de l'un en ayant l'autre ? Tout le monde serait d'avis qu'il vaut mieux se passer du tabac que de la jouissance. Alors "Qu'est-ce que tu attends ?" me dirait Chiara.. Eh ! Bien, la jouissance justement, la fébrilité d'une relation en plein essor, le challenge de la commande d'une création intéressante et exigeante, l'urgence d'un spectacle à faire vivre, les festivités de bons amis ensemble, la sensation d'être "à jour", de ne rien devoir, de ne pas courir après des petits sous, la bonne fatigue d'une journée remplie.

Avec une surdose de bonnes valeurs judéo-chrétiennes, qui déjà m'obligent à rechercher la sensation d'avoir accompli quelque chose chaque jour, je devrais pouvoir prétendre à ces jouissances que je trouve si rares en ce moment. Seulement ces ambiances moralisatrices que l'on essaye de s'imposer sont si souvent ennuyeuses et artificielles que j'ai du mal à y prêter foi.

Heureusement que Chiara m'intrigue, m'interpelle, m'intéresse…je crois que si c'était une dame sévère et pointilleuse je ne prendrai plus rendez-vous. J'ai du mal à comprendre comment une accorte poetesse, qui a enseigné à Bordeaux, vienne s'enterrer à Mont de Marsan – une ville sans charme, avec peu de culture, à peine de l'architecture et aucun endroit vraiement agréable. Soit elle fuit quelque chose ou quelqu'un, soit elle suit quelque chose ou quelqu'un. Sinon c'est incompréhensible, ou alors cette ville recèle des secrets que je n'ai jamais senti.

Suivre ou fuir ?

La chose ou la personne devant ou derrière ?

Je fuis moi aussi devant un moi-même nostalgiquement meilleur, vers un moi-même rêveusement meilleur aussi, sauf que c'est ici et maintenant que nous restons tous toujours. Des fois j'ai du mal à me convaincre que je vais bien, que tout va bien, que ça ira mieux, que ça a été pire, que ce manque indefinissable sera comblé d'autres choses que la bêtise nicotine, que la sensation d'aller bien reviendra de manière moins sporadique, plus constante. Qu'une femme sera sensible à mes attentions et avide de mes elans.

Quoi, tu ne peux pas t'arrêter là…en suspend avec quelqu'un d'autre. C'est de toi qu'il faut que tu parles, c'est à toi de dénouer toi-même le piège dans lequel tu t'efforces de rester. Déjà pour commencer tu pourras arrêter de prendre ce faux recul en parlant de moi à la seconde personne du singulier.

Bon, j'arrête, mais j'ai encore du mal à savoir comment m'y prendre dans ce dédale de dépendances, de cuisines et de jouisssances. L'échevau est si mêlé que je ne sais trouver le bout qu'il faut attraper pour dénouer cette pelote et je ne sais vraiment pas si c'est Chiara qui saura me montrer le chemin. En tout cas je le souhaîte.


Chiara III


Le manque…..

une boule de vide dans la gorge,

une indécision dans la tête,

un faux besoin de sommeil,

de longues contemplations de la scène devant moi, devant mon nez,

un besoin d'occuper la bouche, une paresse mal-vecue,

une sensation d'être moins sûr de moi qui peut aller jusqu'à considérer que je ne suis bon à rien, que je suis incompétent, incapable de gérer correctement ma vie,

un besoin fort que d'autres, que j'estime, aient besoin de moi…

une sorte de fatalisme qui est contredite par mon besoin d'accomplir quelque chose chaque jour…

L'envie d'avoir dépassé ce stade, que la sensation de manque disparaisse…mais je n'y crois pas trop, je crois qu'il y aura toujours un manque, même longtemps après la disparition des besoins impérieux des neuro—transmetteurs,

Est-on jamais vraiment sevré ? N'a-t-on pas toujours un manque de mamelon enfoui quelque part, un manque que l'on essaye d'assouvir en buvant longement à un robinet inépuisable, jusqu'à s'en étrangler…que c'est différent cette mentalité, cet état de fait physique des hommes (par rapport aux femmes) qui ne peuvent être comblés, ni délivrés non plus par un accouchement.

Les choses qui rentrent et sortent de nos corps nous n'arrivons pas à les charger symboliquement avec autant de force - l'air, l'eau, la nourriture, la pisse, la merde, le pus, le sang, les larmes, la bile – ces choses-là nous les avons en commun avec elles…mais le foutre… on le banalise dans nos pratiques solitaires. Et la charge symbolique et émotionnelle d'un enfant dans son ventre et qui sort de son ventre ça ne se discute pas.

Voilà, je pense que tout ce que je fais tente de remplacer les enfants dont je n'ai pu accoucher. C'est peut-être là le manque fondamental, le trou que je ne puis combler en moi et qui sera toujours là en arrière-plan comme une impossibilité qui me nargue…

Ce n'est sûrement pas mon sevrage tabagique qui viendrait à bout de cette histoire-là !

Quel temps compter avant d'être en manque de chiaroscuro ?