Richard Freeth, Créateur.

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Le chien de Giacometti.



Le petit chien de Giacometti est mort. On se figure que ça ne lui a rien fait et on a tort.

Très tort.

Oui, il a un côté hautain, avec sa maigreur alpin, son demi sourire dans la rue et sa veste de tweed discrèt mais bien coupé. Mais depuis que le comité de lecture lui a rendu son manuscrit il a été renvoyé dans les cordes des mots et un chapelet d’autocritiques s’égrenait dans sa tête.

Il y a des humains qui aiment appuyer là où ça fait mal et son ancien compagnon est devenu agressif dans ce moment de fragilité où Giacometti flottait un peu démotivé et déboussolé.

Ils ne se sont plus vus et son petit chien lui était devenu une consolation vitale, une motivation pour sortir de chez lui, bouger sa grande carcasse et suivre le rituel quotidien du boire, du manger et du sortir qu’il lui imposait.

Savait plus.

Plus qui, plus comment, plus où ni quand.

Errant sur les pavés le regard fermé.

Entre au bistrot.

Traine à la bibliothèque.

Déambule tristement dans les parcs.

Subit le syndrôme d’Icare devant son papier Ingres et son écran qui scintille d’un ennui gris.

Où tourner, sauf en rond ?

Le jardin ? Non, il faut attendre les plantes trop longtemps.

Le voyage ? Non, le lieu géographique n’allait pas changer quoi que ce soit.

Le sport ? Non, trop de souvenirs juvéniles de moqueries.

Giacometti décide seulement de marcher. De rythmer ses journées en suivant son nez dans les chemins de la ville. Il regarde plutôt par terre, remarquant les inclusions dans le bitume, une clef, un capuchon, une boîte métallique applatie, la moitié d’une paire de ciseaux. Il collectionne dans sa tête les différentes sortes de pavé, les bords de trottoir, les fontes et les bouches d’égout.

Sur ce fond à prédominance gris foncé qui défile sous ses pieds il voit un ruban de solitude monotone et désespérant. Ecran plat, granite gris, carreaux beiges, béton noir, poussières, graviers, terres sombres, trottoirs mouillés.

Sous les pieds.

Inlassables
 Ternes.

Puis, d’un coup rouge vif.

Devant lui des bottes vernissées l’arrêtent,

Failli trébucher.

Une femme ronde, douce, calme,

Assise sur un banc.

Heureusement assise – quand on est assis on a un giron

Le giron disparaît quand on se lève.

Sans mot, Giacometti se retrouve à genoux.

Sans mot, la femme fait signe qu’il peut poser sa tête dans son giron.

Giacometti ferme les yeux et enfin respire mieux…